La solitude du saxophoniste

Les notes s’élèvent puis retombent, les unes après les autres.

Texte : Bestiole – Illustration : Lucy Nuzit

Les notes s’élèvent puis retombent, les unes après les autres. Scène urbaine d’un Nord presque aussi aigri que ton Sud, Billie. Ici, le son résonne des contes du béton des années cinquante. On a estimé qu’ils seraient tellement plus heureux entassés sur leurs semblables ; après avoir écouté la mélodie du marteau-piqueur huit heures par jour sans les suppléments, ils se seraient ennuyés s’ils ne leur restait pas cinq étages à monter pour parvenir dans un deux-pièces miteux. Le voisin tape sur sa femme et ses gosses, mais ils sont tous baptisés – l’héritage grandiose de la Civilisation chrétienne. Ça procure de l’animation en attendant les dix ans pour réunir la somme nécessaire pour s’effondrer, lessivé de la vie, devant une télé. Tu vois Billie, ici au moins ils ne font pas scandale. Un matin, ils ne sont pas là pour monter leur millième mur. Personne ne les voit desséchés au soleil. D’étranges plantes poussent ici aussi, et les fruits sont pourris. Qu’importe ; personne n’a su les cueillir à temps. Les notes disent le sang sur les feuilles, le sang qui imbibe les racines. Il n’a pas de quoi chanter cet endroit. Ni joie d’y vivre, ni gloire d’y avoir vécu. C’est un champ de coton adossé à la capitale. Le silence règne à présent. Seules viennent faire éclater la bulle ces quelques sons du saxophone qui évoque avec une feinte mélancolie le perpétuel été qui se vend si bien.

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